Energies renouvelables : « Ce sont les Etats-Unis qui vont probablement encore gagner la course »
Dans une tribune au « Monde », le professeur de gestion met en garde les Européens sur la capacité des Américains à mobiliser technologies et investissements pour les devancer dans la course aux énergies renouvelables.
Tribune. « On peut toujours compter sur les Américains pour faire ce qu’il faut, quand ils ont épuisé toutes les autres possibilités. » Que Churchill ait ou non prononcé cette phrase, elle pourrait s’avérer prophétique si Biden gagne en novembre. Son plan pour les énergies renouvelables est si massif qu’il éclipsera le programme actuel de l’Union européenne.
Les Etats-Unis ont-ils épuisé toutes les autres possibilités ? Sans aucun doute. Les présidents Bush ont lancé deux guerres contre l’Irak. La première était presque entièrement axée sur le pétrole. Quant à la seconde, Alan Greenspan, ancien président de la Fed, écrit dans ses Mémoires : « Il est politiquement peu commode de reconnaître ce que tout le monde sait… La guerre en Irak est en grande partie une affaire de pétrole. » Obama avait fait campagne sur le verdissement de l’économie, mais il a poussé le développement de la fracturation hydraulique. Trump a tenté de relancer le charbon et il a favorisé lui aussi l’industrie de la fracturation. Celle-ci a continué à opérer, en s’endettant massivement. Les cours du brut ont baissé. La Russie et l’Arabie saoudite se sont lancées dans une guerre des prix. Ajoutez à cela l’effondrement de la demande avec la pandémie ; couverts de dettes, la plupart des « frackers » sont en faillite.
Sous Biden, les Etats-Unis feraient enfin ce qu’il faut, avec un plan pour parvenir à la neutralité carbone du secteur électrique d’ici 2035. S’il est élu, il faudra s’attendre à une accélération sans précédent, qui verra les Etats-Unis récupérer les brevets, les marchés, et devenir le leader incontesté dans le domaine des énergies renouvelables, comme ils l’ont fait avec le numérique il y a trente ans.
L’Europe devrait pourtant, en principe, gagner la compétition. Elle possède le premier développeur d’éoliennes offshore pure player, Orsted. Le danois Vestas Wind Systems et le germano-espagnol Siemens Gamesa Renewable Energy dominent le marché mondial des éoliennes. A moins d’une percée scientifique – qui figure dans la stratégie de M. Biden –, la transmission de l’électricité sur longue distance passera par les lignes à haute tension en courant continu : dans ce domaine également, l’Europe dispose d’un avantage concurrentiel considérable, avec des leaders mondiaux comme le français Nexans, l’italien Prysmian, le danois NKT et le suédo-suisse ABB.
Berceau de l’esprit d’entreprise
Quelles grandes entreprises américaines pourraient leur faire concurrence ? Pour les éoliennes, GE. Pour les câbles, GE et quelques autres, dont General Cable qui appartient… à l’italien Prysmian. Mais GE n’est pas un pure player, son management est encombré par une large gamme de produits indépendants.
Les Etats-Unis sont entravés par leur industrie pétrolière. Contrairement à leurs rivaux européens Shell, BP ou Equinor (l’ancien Statoil), les américains ExxonMobile et Chevron ont annoncé qu’ils ne baisseraient pas leurs dividendes pour investir dans les renouvelables. Le contraste est cruel avec Total, dont la croissance dans la production d’électricité renouvelable est comparable à celle des pure players.
Pourtant, ce sont les Etats-Unis qui vont probablement encore gagner la course. Pourquoi ? Pas grâce à leurs géants. Mais parce qu’ils sont le berceau de l’esprit d’entreprise et du capital-risque dont il a besoin pour prospérer. Amazon, Google, Facebook, Netflix sont d’anciennes start-up, et non des divisions de monopoles existants. Dans une transformation, les entreprises pure play gagnent. Et même si la production d’énergie n’a pas la vitesse du numérique, des pure players propulsés par la puissance du capital-risque privé peuvent laisser sur place leurs concurrents.
Que doit faire l’Europe ? Tout d’abord, les pays de l’UE doivent encourager l’esprit d’entreprise, en utilisant la fiscalité. L’épargne privée est abondante. Les investissements dans les renouvelables devraient être totalement exonérés d’impôts pendant un certain nombre d’années. L’argent affluera alors comme jamais. Ensuite, les Etats membres devraient mettre en place un système d’assurance pour les investissements dans les renouvelables. Biden propose 2 000 milliards de dollars pour sa transformation énergétique. Si l’Europe pouvait engager un montant similaire, elle pourrait encourager des investissements privés dix à quinze fois plus importants. L’Europe pourrait ainsi s’assurer la pleine maîtrise de son avenir énergétique.
(Traduit par Richard Robert)