December 15, 2020

Assassinat du chef du programme nucléaire iranien: que dirait Sherlock Holmes?

[TRIBUNE] Si Israël n’est pas derrière l’assassinat de Mohsen Fakhrizadeh, le chef du programme nucléaire iranien, cinq autres scénarios sont plus ou moins possibles.

Robert Bell et Thomas W. Casstevens

Les forces iraniennes portant le cercueil du scientifique Mohsen Fakhrizadeh à Téhéran, le 30 novembre 2020. | AFP Photo / HO / Iranian Defence Ministry

Presque tous les articles de presse sur l’assassinat du chef du programme nucléaire iranien, Mohsen Fakhrizadeh, suggèrent une responsabilité directe d’Israël. Le motif le plus couramment invoqué est d’empêcher le nouveau gouvernement Biden de rejoindre et de revivifier l’accord nucléaire avec l’Iran, dont le gouvernement Trump s’était retiré.

Cette analyse est peut-être vraie, mais personne n’a fourni de preuves solides pour l’étayer. Les Iraniens ont accusé Israël et les Israéliens n’ont rien dit, comme c’est généralement leur politique. Peu de gens de toute façon, croiraient leur démenti. Même s’ils ne l’ont pas fait, ils pourraient vouloir laisser croire qu’ils l’ont fait, car cela les rend plus forts.

Et s’ils étaient vraiment hors du coup?

L’angle des marchés pétroliers, qui engagent des acteurs différents, permet d’examiner cette affaire avec une perspective plus complète, en élargissant la liste des suspects. Ce qui suit est donc une expérience de roman policier pour examiner les autres possibilités.

  • Première possibilité: l’Iran hurle mais ne fait rien d’évident en réponse. Pour éviter une riposte sur sa propre infrastructure pétrolière? Peut-être, mais aussi car Mr. Fakhrizadeh n’est pas mort et n’a pas été visé du tout. Le gouvernement iranien a simplement tué un pauvre clampin pour que M. Fakhrizadeh puisse continuer son travail en secret afin d’accélérer la partie militaire du programme nucléaire tout en faisant croire qu’il était ralenti. Le problème, c’est que cela donne l’impression que l’État iranien est vulnérable et incapable de protéger ses responsables.

Probabilité: faible.

  • Deuxième possibilité: c’est l’Arabie saoudite qui a fait le coup. Problème: ils ont été très prudents dans leur réponse aux précédentes provocations de l’Iran; leur infrastructure pétrolière intrinsèquement fragile est exposée à une possible réponse iranienne.

Probabilité: extrêmement faible.

  • Troisième possibilité: c’est un soldat de fortune qui a organisé l’attentat. Il aurait été payé par, faites votre choix: une compagnie pétrolière opérant en dehors du golfe Persique; le gouvernement de l’État le plus étroitement associé à cette compagnie; des frackers américains exploitant du gaz et pétrole de schiste, qui sont presque toutes en faillite. La plupart des grandes compagnies pétrolières perdent de l’argent et ont réduit le dividende qu’elles versent à leurs actionnaires. Certains ont même annoncé une sortie (très progressive) du pétrole. Tous bénéficieraient grandement d’une hausse du prix du pétrole, qui pourrait tripler, si une guerre venait retirer le pétrole du golfe Persique du marché international.

Probabilité: pas insignifiante, mais, si elle est vraie, jusqu’à présent elle n’a pas fonctionné.

L’Iran devrait riposter d’une manière forte, qui conduirait à une guerre dans le Golfe, ou au moins à fermer le détroit d’Ormuz. Jusqu’à présent, les Iraniens ont été trop intelligents pour mordre à l’hameçon. Cela suggérerait que le soldat de fortune devrait provoquer un deuxième événement, cette fois peut-être contre l’un des États de l’autre côté du Golfe. C’est possible, mais cela semble difficile, peut-être parce que cela nécessite une expertise considérable. Bien sûr, le payeur pourrait engager un deuxième soldat de fortune, mais cela augmente le risque de fuite. Il y a donc une réelle probabilité, mais elle est faible.

  • Quatrième possibilité: c’est Trump qui a ordonné l’assassinat, un cadeau aux frackers américains. Problème: les hauts responsables des services de renseignement américains sont proches du président élu Biden, et l’histoire serait probablement divulguée dans la presse américaine.

Probabilité: très faible, car cela pourrait finalement entraîner la mort de militaires américains dans la région, et cela discréditerait Trump personnellement.

  • Cinquième possibilité: la Russie. Les Russes sont déjà présents en Iran, et connaissent très probablement tous ceux qui comptent et beaucoup d’autres qui ne comptent pas. La Russie est, après tout, dirigée par un expert en renseignement de renommée mondiale. En ce qui concerne le pétrole, elle a essentiellement les mêmes motivations que les suspects suggérés dans la troisième et quatrième possibilités.

Mais en ce qui concerne le gaz naturel, les Russes ont quelque chose en plus: le Nord Stream 2, l’énorme gazoduc de la mer Baltique qui achemine le gaz naturel russe vers l’Allemagne. Il était presque terminé il y a un an, mais les travaux ont été soudainement interrompus par les sanctions de l’administration Trump. Le 29 novembre, deux jours après l’assassinat, Bloomberg News rapporte un communiqué de la compagnie annonçant qu’elle allait finir ce nouveau gazoduc. Peut-être une simple coïncidence, mais une heureuse coïncidence pour eux si la guerre éclate dans le golfe Persique.

Sur la probabilité que le coup ait été monté par la Russie: que dirait Sherlock Holmes?

Thomas W. Casstevens  Professeur émérite de science politique, université d’Oakland, Rochester Michigan, conseiller spécial auprès de l’USAID sur les terrains turc et tunisien sous l’administration Reagan.

http://www.slate.fr/story/198163/tribune-iran-assassinat-mohsen-fakhrizadeh-scientifique-programme-nucleaire-israel-hypotheses

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