Les grandes compagnies pétrolières et gazières utilisent l’énergie éolienne et solaire pour produire encore plus de pétrole
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Le professeur de management Robert Bell dénonce, dans une tribune au « Monde »,
les mécanismes de greenwashing utilisés par les majors du pétrole, qui restent
dépendantes du développement des énergies fossiles.
Le 4 octobre, le pape François écrivait: «La transition nécessaire vers les énergies propres comme
les énergies éolienne et solaire, en abandonnant les combustibles fossiles, ne va pas assez vite. Par conséquent, ce qui est fait risque d’être interprété comme un simple jeu de diversion.» L’une des raisons pour lesquelles les progrès sont trop lents est peut-être que les grandes compagnies pétrolières et gazières utilisent l’énergie éolienne et solaire non pas pour se débarrasser du pétrole et du gaz, mais pour en produire encore plus, tout en proclamant leur vertu écologique ! Les preuves sont accablantes : le 25 août, la compagnie pétrolière américaine Chevron a publié un communiqué de presse, annonçant que l’un de ses gisements de gaz naturel au Nouveau-Mexique utiliserait dorénavant l’énergie solaire pour faire fonctionner les compresseurs de gaz dans le système des gazoducs.
Un problème existentiel
Cela suit à la lettre les recommandations, largement discutées, d’un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) d’octobre 2021. Nommé «Net Zero by 2050», il vise à réduire à zéro les émissions de CO2 dans le monde et invite les foreurs de pétrole et de gaz naturel à se concentrer sur «l’exploitation des actifs existants» (page 21).
Ce même rapport témoigne de la nécessité de «ne pas créer de nouveaux gisements de pétrole et de gaz naturel» (page 23), ce qui pose un problème existentiel à Chevron et à toutes les compagnies pétrolières et gazières : en effet les gisements s’épuisent. Leur communiqué de presse aborde implicitement ce problème : «Au fur et à mesure que Chevron augmentera sa production de pétrole et de gaz dans le bassin permien [région géologique située dans l’est du Nouveau-Mexique et l’ouest du Texas], nous aurons besoin de plus d’électricité pour répondre à la demande de nos opérations (…), de l’électricité à faible teneur en carbone (…) réduisant nos émissions de gaz à effet de serre.»
Le communiqué de presse cite un cadre de l’entreprise : «Les coûts de l’électricité ainsi produite seront inférieurs à ce que nous payons si nous utilisons l’électricité du réseau. Il s’agit donc d’un projet à haut rendement et à faible émission de carbone, et nous adorons ça.» Ironiquement, ils utiliseront pour eux mêmes l’énergie solaire, moins chère et inoffensive, pour vendre à leurs clients de l’énergie au gaz naturel, plus chère et qui contribue au réchauffement de la planète.
Le 25 octobre 2022, moins d’un an avant le texte de Chevron, BP avait publié un communiqué comparable : «Investir dans l’infrastructure électrique nous permet de réduire les émissions dans nos opérations. En supprimant les moteurs à combustion des compresseurs et des générateurs sur nos sites
de forage, l’équipe est parvenue à réduire les émissions (…). Encore mieux: l’électricité que nous utilisons
provient de sources à faible teneur en carbone, achetées par l’intermédiaire de notre équipe chargée du
commerce du gaz et de l’électricité. Voilà à quoi ressemble une entreprise énergétique intégrée.»
Onze éoliennes flottantes
Quatre ans plus tôt, ExxonMobil avait annoncé utiliser l’énergie éolienne et solaire pour électrifier ses activités dans le bassin permien. La société a signé un contrat d’achat d’électricité de douze ans avec une filiale de la société danoise Orsted, spécialisée dans les énergies renouvelables, pour fournir de l’électricité renouvelable.
A l’époque, il s’agissait du «plus gros contrat d’électricité renouvelable jamais signé par une compagnie pétrolière», selon Bloomberg New Energy Finance. Orsted, détenue majoritairement par le gouvernement danois, est la seule compagnie pétrolière importante à s’être transformée en société d’énergie renouvelable. Exxon a peut-être voulu briller, elle aussi, de cette lumière verte ? Le 23 août, Equinor, détenue à 67 % par le gouvernement norvégien, a officiellement inauguré le plus grand parc éolien flottant du monde : onze éoliennes flottantes (le projet Hywind Tampen) pour fournir de l’électricité à cinq plates-formes de forage pétrolier et gazier offshore existantes à 140 kilomètres de la côte norvégienne.
Les éoliennes flottantes – le seul type d’éolienne pouvant s’affranchir, dans des eaux profondes, d’être implanté dans le fond marin – fourniraient environ un tiers de l’électricité nécessaire pour faire fonctionner les plates-formes de forage pétrolier et gazier offshore. Cela permettrait de réduire les émissions des opérations de forage existantes d’un peu plus de 10 %, et de suivre les recommandations du pape et de l’AIE.
De nouveaux gisements
Pourtant, le plan de transition énergétique de l’entreprise, daté du 22 mars 2022, stipule ce qui suit: «Equinor continuera à produire du pétrole et du gaz dans un avenir proche.» Il apparaît donc comme inévitable que de nouveaux gisements remplacent les gisements épuisés. En 2016, Equinor a acheté les droits d’un champ offshore au Brésil. Cette année, il produira 90 000 barils de pétrole par jour. L’entreprise espère porter cette production à 500 000 barils de pétrole par jour d’ici à 2033. Elle prévoit en outre d’utiliser des turbines éoliennes flottantes, comme dans le projet au large des côtes norvégiennes, ce qui permettra de réduire d’environ 10 % les émissions liées au projet de forage. Mais ils produiront cinq fois plus de pétrole à partir de ce gisement. Le vice-président des opérations d’Equinor au Brésil a été cité dans un article de Reuters daté du 13 juin : «Nous voyons dans l’éolien en mer une grande synergie avec le pétrole et le gaz, et nous étudions plusieurs projets.»
Les compagnies pétrolières elles-mêmes dissipent les doutes sur l’efficacité et le coût de l’énergie éolienne et solaire en comparaison des combustibles fossiles, puisqu’elles utilisent l’éolien et le solaire pour leur propre fonctionnement. Ce n’était peut-être pas dans ses intentions, mais «Big Oil» nous montre le chemin pour se débarrasser de «Big Oil».
(Traduit de l’anglais par Isabelle Plat)
ENGLISH VERSION
BIG OIL SHOWS HOW TO GET RID OF BIG OIL
On October 4, 2023, Pope Francis wrote: “the necessary transition towards clean energy sources such as wind and solar energy, and the abandonment of fossil fuels, is not progressing at the necessary speed. Consequently, whatever is being done risks being seen only as a ploy to distract attention.”
Perhaps one reason the progress has been too slow is that major oil and gas companies have been using wind and solar not to get out of oil and gas but to produce even more of it—while proclaiming their green virtue!
The evidence is overwhelming:
On August 25, 2023 American oil company Chevron issued a press release1 announcing that one of their natural gas fields in New Mexico would be using solar power to run the compressors that squeeze the gas into the pipelines. This appears to be exactly what should be done, according to a widely cited October 2021 report of the International Energy Agency (IEA), intended to get the world to net zero CO2 emissions, and thus titled Net Zero by 2050: Oil and natural gas drillers should focus on the “operation of existing assets” (p.21).
However, the same report adds that this means, “no new oil and natural gas fields.” (p.23). That poses an existential problem for Chevron and all oil and natural gas companies; the fields get depleted. Their press release implicitly deals with this problem: “As Chevron increases (emphasis added) its oil and gas production in the nearby Permian Basin we will be requiring more power to meet the demands of our operations [with] … lower carbon electricity… [thus] reducing greenhouse gas emissions….”
The press release quotes a top executive, “The power costs will also be less than what we’re paying for energy from the grid. So, it’s a higher return, lower carbon project, and we love it.”
Ironically, they will be using cheaper and harmless solar energy themselves to flog more expensive natural gas energy, which contributes to global warming, to their customers.
On October 25, 2022, less than a year before the Chevron press release, BP had issued a comparable one: “… investing in electrical infrastructure lets us cut emissions in our operations. By removing combustion engines in compressors and generators at our well sites, the team achieved emissions reductions…. And the best part? The electricity we use comes from low carbon sources procured through our gas and power trading team. This is what it looks like to be an integrated energy company.2”
Four years earlier, Exxon Mobile announced they were using both wind and solar to electrify their Permian basin operations.3 The company signed a 12 year power purchase agreement with a subsidiary of Danish renewable energy company Orsted to supply the renewable electricity. At the time it was “the largest ever renewable power contract signed by an oil company,” according to Bloomberg New Energy Finance. Orsted, majority owned by the Danish government, itself is the only significant oil company ever to transform into a renewable energy company. So perhaps Exxon wanted to shine in some of that green light.
On August 23, 2023,Equinor, 67% owned by the Norwegian government, officially inaugurated the world’s largest floating wind farm–11 floating wind turbines (the Hywind Tampen Project) to provide electricity to five existing offshore oil and gas drilling platforms 140 km off the coast of Norway.4 The floating wind turbines—the only kind that can work in water too deep for the turbines to be pounded into the sea floor—would provide about one third of the electricity needed to run the offshore oil and gas drilling platforms. This would reduce emissions of the existing drilling operations by just over 10%.5 So far this is in line with the wishes of both the Pope and the IEA.
But, the company’s March 22, 2022 Energy Transition plan says this:“Equinor will continue to produce oil and gas for the foreseeable future.” This inevitably means new fields to replace depleted ones. In 2016, Equinor bought the rights to an offshore field in Brazil. This year, 2023, it will produce 90,000 barrels of oil per day. The company hopes to run this up to 500,000 barrels of oil per day by 2033. They also plan to use floating wind turbines there, just as in the project off the coast of Norway, thus reducing some 10% of the emissions from the drilling project. But they will produce five times more oil from that field. The Vice President of Equinor’s operations in Brazil was quoted in a June 13, 2023 Reuters story: “We see in offshore wind a lot of synergy with oil and gas, and we are looking at several projects.”6
If you have any doubt about the practical use and cost of wind and solar energy compared to fossil fuels, the oil companies’ own usage of wind and solar, in their own operations, should put those doubts to rest. They constitute the most sincere possible endorsement. Big Oil may not have intended to do so, but they have shown us how to get rid of Big Oil.
1https://www.chevron.com/newsroom/2023/q3/solar-field-powers-up-lower-carbon-operations
2https://www.bp.com/en/global/corporate/news-and-insights/reimagining-energy/wells-electrification-at-bpx-energy.html
3https://www.bloomberg.com/news/articles/2018-11-28/oil-giant-exxon-turns-to-wind-solar-for-home-state-operations?sref=XVZ2svL2
4 https://electrek.co/2023/08/23/worlds-largest-floating-offshore-wind-farm/
5https://www.offshore-technology.com/comment/more-to-emissions/
6 “Equinor aims to boost Brazil oil output over next decade,” Reuters, June 14, 2023