March 26, 2021

Les 100 jours de Joe Biden: “De quelle ampleur sera la politique de transformation énergétique ?”

Le professeur Robert Bell et le consultant Patrick Mathieu estiment, dans une tribune au « Monde », que la non-rentabilité des centrales à charbon va faire basculer les énergéticiens du côté des énergies propres… au prix d’une envolée de la facture pour le consommateur.

Tribune. Le nouveau président américain semble vouloir incarner la figure du « souverain juste », réparant les torts de l’administration précédente et ramenant la paix civile. Alors que l’attention s’est récemment portée sur Robinhood, cette société de courtage en ligne utilisée par de très jeunes investisseurs contre les géants du marché boursier américain, c’est justement le style de leadership attribué au « bon roi Richard » dans le mythe de Robin des Bois. En réalité, il fut un roi terrible… Mais, dans le mythe, Richard Cœur de Lion revient de croisade pour remettre les choses en ordre après les déprédations de son frère, le prince Jean.

La croisade du « bon roi Joe » est de sauver la terre du réchauffement climatique – le pape lui-même a lancé un appel à l’action. Mais le méchant prince Donald lui a laissé un grand fléau, le Covid-19. 1 900 milliards de dollars ne seront pas de trop pour le combattre. Alors où trouver 2 000 milliards de plus pour financer la croisade du pape ?

Si Joe Biden chargeait les collecteurs d’impôts fédéraux d’obtenir cette somme auprès des contribuables américains, on le prendrait rapidement pour… le shérif de Nottingham. Mais M. Biden possède un autre atout : l’Agence de protection de l’environnement. Une pression réglementaire bien appliquée pourrait accélérer la fin des centrales à charbon.

La capacité de production d’électricité américaine à base de charbon s’élevait officiellement à 229 gigawatts (GW) fin 2019, près d’un quart du total de la production d’électricité. Or, un rapport Bloomberg révélait, en 2018, que la moitié des centrales à charbon américaines, soit 135 GW de capacité, avait subi des pertes nettes en 2018.

Le même rapport précise que la grande majorité des unités non rentables sont réglementées, soit 130 GW. Il s’agit souvent de monopoles locaux. Or, les régulateurs des Etats (Californie, New York, etc.) autorisent ces énergéticiens à transférer leurs pertes à leurs clients, selon le principe du « coût majoré ». Ces entreprises ajoutent simplement une marge, d’environ 9 % actuellement, à leurs coûts.

A portée de main

Si l’administration Biden tient ses engagements et s’attaque sérieusement au problème du charbon, ces énergéticiens fermeront probablement leurs centrales et installeront à la place des parcs éoliens ou solaires, rentables et moins onéreux. Ils emprunteront l’argent nécessaire sur les marchés obligataires ; l’intérêt payé entrera dans la base de coûts de leurs contrats facturés au « coût majoré ». Les obligations d’énergéticiens réglementés, considérées comme sûres, seront achetées par de nombreux fonds de pension américains.

De quelle ampleur sera cette politique de transformation énergétique, qui n’apparaîtra quasi pas dans le budget fédéral puisqu’elle sera payée par les clients de l’énergéticien local ? Si 130 GW de centrales à charbon réglementées sont remplacés par de l’éolien terrestre, à un coût de 1,38 million de dollars le mégawatt, cela équivaudrait à 180 milliards de dollars. Multipliez ce chiffre par trois pour éparpiller les éoliennes afin de mieux capter le vent, et on atteint environ 500 milliards de dollars. Comme le souligne John Dizard, chroniqueur au Financial Times, qui n’est pourtant pas particulièrement favorable aux renouvelables : « Les monopoles locaux sont l’avenir de l’énergie. » Financièrement, c’est à portée de main, et, économiquement, cela a du sens. La réglementation peut accélérer le mouvement.

Mais ces entreprises auront-elles l’intelligence de se transformer ? On sait que les anciens monopoles du téléphone, de l’informatique ou de la distribution ne sont pas devenus des GAFA, ou que General Motors n’est pas devenu Tesla. En revanche, c’est Apple, un des GAFA, qui se transforme en générant sa propre énergie renouvelable.

Peut-être, alors, les capital-risqueurs lanceront-ils les énergéticiens de nouvelle génération, qui lèveront des milliards sur les marchés financiers. A nouvelle énergie, nouveaux acteurs ?

Patrick Mathieu est consultant en stratégie et auteur de La « raison d’être » authentique (Eric Gautier, BoD, 2020).

https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/26/les-100-jours-de-joe-biden-de-quelle-ampleur-sera-la-politique-de-transformation-energetique_6074566_3232.htmL

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