Objectif Océan, ESA, Paris, 8 June 2015, 5pm – Français
Robert Bell, Professeur en Management, Brooklyn College (New York)
« Nous sommes ici pour faire de la COP21 un succès et pour sauver les océans. J’ai une idée pour les deux.
Les émissions de CO2 dues aux combustibles fossiles sont responsables à la fois de l’acidification des océans et du réchauffement climatique. Elles génèrent également bien d’autres maux que nous n’évoquerons pas ici. Pénaliser les émissions de CO2 n’est pourtant pas la solution. Jusqu’à présent, cela n’a pas fonctionné, la solution serait de basculer massivement les investissements dans les énergies fossiles vers les énergies renouvelables.
J’ai exposé dans « Le Monde » il y a quelques mois l’ampleur du défi à relever en créant un indicateur simple : le ratio Espoir/Déluge. Le montant total des investissements dans le secteur des énergies renouvelables (250 milliards dollars par an au numérateur) est quatre fois inférieur à celui des énergies
fossiles (1000 milliards de dollars par an au dénominateur). Actuellement avec un ratio de 0,25, les sommes investies dans énergies renouvelables ne représentent qu’un quart seulement de celles investies dans les énergies fossiles. Selon l’Agence internationale de l’énergie, nous aurions besoin d’investir 1000 milliards de dollars par an dans les énergies renouvelables pour les prochaines décennies. D’autres organisations annoncent même un chiffre encore plus élevé. Pour répondre à cet objectif et dans l’hypothèse d’un investissement qui resterait égale à celui d’aujourd’hui dans l’énergie, nous devons à minima inverser le ratio Espoir/Déluge ; les énergies fossiles ne représenteraient plus qu’un quart des investissements comparé à celui des énergies renouvelables.
Comment pouvons-nous obtenir ce renversement ? Les pistes d’aujourd’hui sont sans espoir. Nous avons mis en place sans succès le concept de «pollueur-payeur» pour le climat. Avec le system cap & trade, nous misons sur l’Etat intègre pour chiffre les droits de polluer et sur un marché efficace, pour les distribuer. Mais voilà. Avec la tonne de carbone qui évolue entre 5€ et 7€, nous nous retrouvons avec un résultat plus qu’inattendu : un « Etat efficace » et un « marché intègre » !
Les Etats n’ont plus que la taxe carbone pour pénaliser l’usage des combustibles fossiles. On leur souhaite bonne chance ! Les gouvernements qui ont essayé de la mettre en place, s’y sont cassé les dents. Nous l’avons vu récemment en Australie, où il a été balayé, et en France, ou deux gouvernements successifs ont dû faire marche-arrière.
Le concept du pollueur-payeur ne peut fonctionner que dans l’hypothèse d’un Etat fort qui s’impose sur un contribuable faible. Mais ici, ce sont les compagnies pétrolières les plus fortes, elles qui ont le pouvoir. Pouvons-nous sérieusement croire un instant que nous allons les faire payer?
La semaine dernière, les dirigeants de six grandes sociétés pétrolières ont signé une demande conjointe pour fixer un prix au carbone. Le PDG de Total a suggéré un prix de 40 dollars par tonne de CO2. Cela aurait pour effet de sortir du jeu le charbon et de le remplacer par… du gaz naturel, produit par les entreprises signataires. La taxe carbone permettrait ainsi à leurs gisements gaziers de produire et donc d’émettre du CO2 pendant une durée encore plus longue
Pour combien de temps ? La réponse vient, étonnamment de l’Arabie Saoudite. Son ministre du Pétrole, Ali al-Naimi, a déclaré que dans 25 à 35 ans, l’Arabie Saoudite, qui a beaucoup d’argent, notre argent, n’utilisera plus que de l’énergie solaire et non plus du pétrole. Les Saoudiens nous vendront alors l’énergie solaire produite par leurs centrales, si nous sommes lents à avoir les nôtres. Pourquoi devrions-nous être aussi lents ? Peut-être parce que entre-temps, la taxe carbone qui promeut le gaz naturel comme carburant de transition, nous aura fait perdre à tous un temps précieux.
Nous ne sommes pas ici pour sauver les compagnies pétrolières, mais les océans. La solution est simple : récompenser ce qui va dans le bon sens plutôt que de pénaliser ce qui s’y oppose.
Pour sauver les océans et la planète, nous avons besoin d’un tsunami d’argent dans les énergies renouvelables. J’ai suggéré ailleurs la défiscalisation de tous les profits générés par les énergies renouvelables. KPMG, le géant de la comptabilité, a détaillé les plans d’incitation fiscale de plus de 30 pays. L’augmentation massive des investissements de la Chine dans les énergies renouvelables résulte en partie d’une réduction significative des impôts aux sociétés chinoises dans ce secteur.
Alors que ce n’est pas abordé par KPMG, j’ai expliqué dans « Les Echos » et « La Tribune », comment le boom du gaz de schiste aux États-Unis est en grande partie la conséquence d’une niche-fiscale qui remonte à 1916 et permet l’amortissement total du puits au cours de l’année où il a été foré. En conséquence, le PDG de l’un des principaux foreurs, Chesapeake Energy, a proclamé fièrement il y a quelques années que sa compagnie avait foré et fracturé quelque 16 000 puits depuis 1989. Et qu’en raison de l’amortissement accéléré, ils n’ont pratiquement pas payé d’impôts fédéraux au cours de cette période. A cause de Chesapeake et quelques autres foreurs, les États-Unis ont vécu une ruée vers les gaz et pétrole de schiste. Ils ont aussi bénéficié d’une autre niche fiscale ancienne: l’allocation sur l’épuisement du gaz et du pétrole qui permet de défiscaliser 15% de son chiffre d’affaires. Pourquoi ne pas utiliser le même concept pour favoriser par exemple le développement de l’éolien ? L’amortissement complet pendant l’année où les éoliennes sont installées et raccordées, puis un report des pertes (sorte d’équivalence de l’allocation sur l’épuisement des combustibles fossiles) sur quelques années ? Mais qu’en serait-il des pertes de recettes fiscales ? Le boom des gaz de schiste a produit d’énormes recettes fiscales : sur les salaires, les entreprises locales, etc. même si les foreurs eux n’ont rien payé.
Y a-t-il d’autres aides fiscales qui pourraient nous aider à lutter contre le réchauffement climatique et l’acidification de nos océans? La réponse est oui. Transformons les zones économiques exclusives de 200 milles, en zones économiques spéciales, qui pourront accueillir des parcs éoliens flottants. Il y a déjà un projet de 100 turbines à Hawaï. L’ensemble de la façade atlantique de l’Union Européenne pourrait se transformer en une grande armada… de l’énergie !
Nous savons que COP21 va générer une série d’objectifs nationaux de réductions des émissions de gaz à effet de serre. Il faudra les traduire en objectifs chiffrés d’énergie renouvelable à produire, couplée à une fiscalité verte incitative. C’est seulement à ce prix que COP21 pourra sauver la planète entière et les océans avec ! »