Guerre en Ukraine : « Les systèmes énergétiques les plus rapides et les moins chers à construire dans l’urgence sont l’éolien terrestre et le solaire »
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Le chercheur américain spécialiste des technologies Robert Bell affirme, dans une tribune au « Monde », que pour se passer du gaz russe recourir aux énergies renouvelables serait plus rapide et moins cher que de trouver de nouvelles sources de gaz.
Tribune. Comme dans un film sur la duplicité en temps de guerre, la Russie continue de payer à l’Ukraine qu’elle massacre un « loyer » (apparemment 2 milliards de dollars en 2020, soit environ 1,84 milliards d’euros) pour utiliser ses gazoducs vers l’Union européenne (UE). Et les pays de l’UE, qui sanctionnent économiquement la Russie et qui, pour certains, fournissent des armes à l’Ukraine, continuent de payer leur gaz aux tueurs russes – 155 milliards de mètres cubes (MMC) en 2021, ce qui représente près de la moitié de leurs importations de gaz.
Le dilemme moral auquel l’UE se trouve ainsi confrontée peut être résolu de plusieurs façons : Poutine pourrait couper les approvisionnements ; un foreur pétrolier du Moyen-Orient ou du Texas pourrait embaucher des mercenaires pour faire exploser les pipelines ukrainiens… et le prix du pétrole et du gaz par la même occasion; le gouvernement ukrainien pourrait même, dans un geste désespéré, faire sauter lui-même les pipelines.
Du gaz liquéfié très coûteux
Mais aucun des plans annoncés à ce jour ne semble pouvoir résoudre ce dilemme. Le 25 mars, la Commission européenne et Washington ont annoncé pouvoir remplacer cette année 20 MMC de gaz russe (sur 155) par de nouveaux projets éoliens et solaires. Et que, dans huit ans (!), l’UE aurait mis fin aux importations de gaz russe en triplant sa capacité éolienne et solaire à hauteur de 170 MMC. Restera-t-il quelque chose de l’Ukraine, à cette date-là ?
Le 24 mars, Joe Biden a promis de livrer, cette année, à l’UE environ 15 MMC de gaz naturel liquéfié (GNL). L’UE recherche également d’autres sources de GNL et passe des contrats avec les usines de regazéification flottantes existantes.
Mais remplacer le gaz relativement bon marché livré par gazoduc par du gaz liquéfié très coûteux livré par méthanier nécessite de construire de nouvelles usines de regazéification. Or, la construction de celle de Dunkerque a mis six ans et a coûté un milliard d’euros. Autrement dit, en construire davantage ne contribuerait pas à résoudre la crise de court terme actuelle.
Le plan de l’UE pour l’indépendance énergétique annoncé le 8 mars ne parle pas, en revanche, de nouvelle centrale nucléaire pour aronter cette crise. Et pour cause : si le premier réacteur EPR d’Europe, en Finlande, vient de produire ses 100 premiers MW d’électricité en mars 2022, le projet a été lancé il y a treize ans, en 2005, et a coûté environ 11 milliards d’euros, au lieu des 3,4 milliards initialement prévus…
De 26 à 50 dollars par MWh
La réelle solution est donc d’une évidence aveuglante. Les systèmes énergétiques les plus rapides et les moins chers à construire dans l’urgence en temps de guerre sont l’éolien terrestre et le solaire. C’est ce que montrent, avec une clarté cristalline, les chiffres publiés par la banque d’affaires Lazard (« Levelized Cost of Energy, Levelized Cost of Storage, and Levelized Cost of Hydrogen », 28 octobre 2021).
En attendant d’avoir couvert les espaces vides adaptés, il faudra
utiliser le nucléaire existant, les autres gaz que nous pouvons
trouver, et en tout dernier recours le charbon
Non seulement les éoliennes terrestres sont les moins chères, avec une fourchette de 26 à 50 dollars par mégawatt/heure (MWh), mais elles sont, comme le solaire, très rapides à construire. Selon Windeurope.org, la principale association professionnelle européenne qui regroupe les principaux acteurs de l’éolien (Vestas, Orsted, Siemens-Gamesa, Acciona, Equinor, EDF, Engie…), « un parc éolien de 10 MW peut facilement être construit en deux mois. Un plus grand parc éolien de 50 MW peut être construit en six mois ».
Le solaire prend même moins de temps. De plus, l’UE possède bon nombre des plus grandes et des meilleures entreprises de fabrication d’éoliennes, de parcs éoliens et de câbles électriques.
Toujours selon Lazard, l’énergie solaire à grande échelle la plus courante a un coût similaire à celui de l’éolien terrestre : une fourchette de 30 à 41 dollars par MWh. En temps de guerre, les meilleures sources d’énergie sont locales, sans besoin d’être alimentées de l’extérieur. Comme le soleil et le vent.
Pour raisons de sécurité nationale
Pourtant, comme nous l’avons vu, la Commission européenne est toujours à la recherche de solutions d’urgence importées. Or, Lazard donnait en 2021 comme plus bas de la fourchette du prix de l’électricité produite au gaz naturel 45 à 74 dollars le MWh. Bien que généralement plus cher que l’éolien ou le solaire, le gaz peut compenser les moments sans vent ni soleil.
Mais Lazard a basé son analyse sur un prix du gaz naturel à 3,45 dollars/million de BTU (British Thermal Unit, unité d’énergie thermique ; 1 MMBtu = 0,293071 MWh), soit à peu près le prix aux Etats-Unis en 2021. Mais le prix payé par l’UE à l’arrivée dans le port en Allemagne était en novembre 2021, avant la guerre, de 27,20 dollars/MMBtu, soit près de huit fois plus qu’aux Etats-Unis ! Ce ne peut être une stratégie d’urgence en temps de guerre…
La véritable solution d’urgence pour remplacer le gaz naturel russe à l’échelle de l’UE est, pour raisons de sécurité nationale, de construire massivement de l’éolien terrestre et du photovoltaïque. Et, en attendant d’avoir couvert les espaces vides adaptés, il faudra utiliser le nucléaire existant, les autres gaz que nous pouvons trouver et, en tout dernier recours, le charbon.
Les dirigeants politiques doivent commencer à agir comme des dirigeants et l’expliquer fermement: nous sommes en guerre, bien que celle-ci ne soit pas déclarée, et nous devons cesser de commercer avec l’ennemi. (Traduit de l’anglais par Isabelle Plat)
Robert Bell est l’auteur de « Les Péchés capitaux de la haute technologie. Superphénix, Eurotunnel, Ariane 5… » (Seuil, 1998) et « La Bulle verte. La ruée vers l’or des énergies renouvelables » (Scali, 2007).
ENGLISH VERSION – BREAKING THE EU’S DILEMMA
For the EU, breaking off from Russian gas and oil is hard to do. But the EU is in an undeclared war, and must stop trading with the enemy.
Like a movie about war time duplicity, Russia continues to pay Ukraine, the country they are butchering, “rent” (reportedly 2 billion dollars in 2020) to use their gas pipelines to the EU. And the EU countries, some of which are supplying weapons to Ukraine, and all of which are economically sanctioning Russia, continue to pay the Russian killers for their gas, which at 155 Billion Cubic Meters (BCM) in 2021, comes close to half of their gas imports.
Putin could solve the EU’s moral dilemma, by cutting off supplies. Or, a Middle East or Texas oil driller might hire mercenaries to explode the Ukrainian pipelines and the price of oil and gas at the same time. Even the Ukrainian government, in a desperate move, may break the dilemma by themselves breaking the pipelines.
So far, all announced plans keep the dilemma. On March 25 an EU Commission-U.S. White House task force announced that this year, new wind and solar projects could replace 20 BCM of Russian gas. And, in eight years, if there is anything left of Ukraine by then, the EU would triple its wind and solar capacity, equivalent to 170 BCM, ending imports of Russian gas.
On March 24, Joe Biden promised to help supply the EU this year with about 15 BCM of liquefied natural gas. And the EU is also looking for other sources and is contracting for existing, floating regasification plants.
Replacing relatively cheap gas delivered by pipeline, with pricey liquefied gas delivered by tanker, requires new regasification plants. A big one in Dunkerque took 6 years to build and cost one billion euros. Building more of them would not help with the current crisis.
An EU plan, dated March 8, doesn’t speak of new nuclear for this crisis. Maybe this is why: The first new generation reactor in Europe, the 1,650 Megawatt EPR in Finland, just produced its first 100 MW electricity in March 2022. But the project was started in 2005, and cost about 11 Billion euros—it was originally priced at 3.4 Billion.
The actual solution is blindingly obvious: a war-time emergency build-up of the fastest-to-build and cheapest energy systems: on-land wind and solar power. This is shown with crystal clarity by the figures published every year by the investment bank Lazard.
Not only are on-shore wind turbines flat-out the cheapest, with a range of $26 to $50 per MWh, but they are more or less tied with solar as the fastest to build. According to windeurope.org, the main European wind trade association, “Construction time is usually very short – a 10 MW wind farm can easily be built in two months. A larger 50 MW wind farm can be built in six months.” Solar can take even less time, the complexity often being connection to the utilities.
In addition, wind exploits the EU’s biggest advantage: many of the best and biggest wind-turbine, wind farm and electric cable companies are in Europe!
Now for the second best solution: solar. Again using Lazard’s figures, the most common utility scale solar has a similar cost to on-land wind: a range of $30 to $41 per MWh.
On top of that, in a war the best energy sources are those that don’t have to be imported and have no fuel costs: sunlight and wind. But the EU Commission, as we have seen, is still searching for emergency imported solutions.
Lazard, in 2021, before the crisis, gave the price range for the cheapest natural gas electricity, gas-combined-cycle: $45 to $74 per MWh. While generally more expensive than wind or solar, it can fill the gaps when there is no-wind and no-sun. But Lazard based their analysis on a natural gas price of $3.45 MMBTU—roughly the US price in 2021. How much did the EU pay then? Before the war, in November 2021, $27.20/MMBtu—nearly eight times the US price. (See: https://ycharts.com/indicators/germany_natural_gas_border_price)
This is the EU’s war time emergency strategy?!!
So the immediate solution is to replace Russian natural gas with a massive
on-land wind and solar build-up–for reasons of national security (EU wide). Use existing nuclear, any other gas we can find and, as a last resort, coal while we cover empty spaces wherever feasible with windfarms and solarparks.
But what about objectors? Leaders must start acting like leaders and firmly explain: we are in an undeclared war, and must stop trading with the enemy.