September 17, 2022

Le plan anti-inflation de Joe Biden « promeut une transformation verte selon une approche inverse à celles qui ont échoué »

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Le professeur Robert Bell explique, dans une tribune au « Monde », pourquoi selon lui la loi votée au mois d’août aux Etats-Unis révolutionne l’approche de la lutte contre le réchauffement climatique.

Bien que l’existence d’une crise climatique soit de plus en plus reconnue, les solutions largement débattues pour y faire face – taxes sur le carbone et marché du carbone – n’ont tout simplement pas réussi à s’imposer à une échelle permettant de résoudre le problème.

L’Inflation Reduction Act (IRA), la loi sur la réduction de l’inflation signée par le président américain Joe Biden le 16 août, promeut une transformation verte selon une approche totalement inverse à celles qui ont échoué. Si cette approche était suivie par d’autres pays, le monde pourrait peut-être échapper au pire du réchauffement climatique ! Voici pourquoi.

369 milliards de dollars sur dix ans

Premièrement, cette loi est votée… alors que le marché carbone et la taxe sur le carbone n’ont jamais été adoptés au niveau national aux Etats-Unis. Certes elle est passée de justesse au Sénat, 51 voix contre 50, le 7 août. Mais le vote de la Chambre des représentants, le 12 août, était couru d’avance.

En signant la loi quatre jours plus tard, Joe Biden a lancé le plus gros investissement dans la transformation verte de l’histoire des Etats-Unis : 369 milliards de dollars sur dix ans, soit suffisamment longtemps pour rendre la transformation énergétique irréversible. Les chercheurs de Princeton ont estimé que cette somme d’argent fédéral engendrerait 3 500 milliards de dollars (environ autant en euros) d’investissements dans les infrastructures énergétiques d’ici à 2032 (« Preliminary Report : The Climate and Energy Impact of the Inflation Reduction Act of 2022 », août 2022, Princeton University Zero Lab).

Deuxièmement, la loi met en œuvre le principe de base de la plupart des pratiques de gestion en entreprise, l’incitation positive. En effet, elle récompense largement ce que nous voulons, plutôt que de punir ce que nous ne voulons pas. C’est exactement le contraire d’une taxe carbone, qui punit ce que nous ne voulons pas, en espérant que l’argent des investissements se reportera sur ce que nous voulons.

L’outil financier principal est le crédit d’impôt : il s’agit d’une déduction, dollar pour dollar, sur le calcul final de l’impôt. La déduction correspond souvent à la moitié des coûts d’investissement pour un large éventail d’énergies renouvelables. Si la facture fiscale initiale de l’investisseur est inférieure au crédit d’impôt, il peut en vendre tout ou partie à quelqu’un qui peut l’utiliser.

Justice sociale

Troisièmement, la loi répond au problème de justice sociale, que la taxe carbone avait négligé, en France, engendrant la révolte des « gilets jaunes ». Elle cible directement les personnes économiquement faibles : 4 000 dollars de baisse ou de crédit d’impôt pour une voiture électrique d’occasion à condition qu’elle coûte moins de 25 000 dollars (il n’y a donc aucun crédit d’impôt pour les Tesla haut de gamme). Et, entre autres, un crédit d’impôt de 30 % des coûts d’investissement pour moderniser le chauffage et pour la climatisation géothermique des logements de la classe moyenne et inférieure.

Pour les voitures électriques neuves, la loi offre un nombre illimité de crédits d’impôt de 7 500 dollars. La loi profite ici indirectement aux potentiels « gilets jaunes » en développant massivement l’industrie américaine des voitures électriques et des batteries, source d’emplois. Et elle neutralise le dumping chinois ; pour être éligibles au crédit d’impôt de 7 500 dollars, les voitures électriques doivent être fabriquées aux Etats-Unis avec des composants américains et des minéraux extraits aux Etats-Unis ou dans des pays ayant conclu des accords commerciaux avec les Etats-Unis (Australie, Canada, Mexique, Chili, Pérou…).

Enfin, les crédits d’impôt pour les investissements dans les fermes éoliennes, les parcs solaires, les installations de stockage d’énergie… seront offerts pendant les dix prochaines années, assez longtemps pour amortir une grande part de ces investissements.

La nouvelle industrie de l’électricité verte va donc pouvoir embaucher. Si l’entreprise offre des salaires équitables et un programme de reconversion, le crédit d’impôt commence à 26 dollars par mégawattheure d’énergie produite.

Un pur profit

Selon la banque d’investissement Lazard, les nouveaux parcs éoliens terrestres peuvent produire de l’électricité au coût de… 26 dollars par mégawattheure. A ce prix, la vente d’électricité verte générera ainsi un pur profit ! En installant leurs éoliennes ou leurs parcs solaires sur des mines de charbon abandonnées ou dans des zones industrielles désaffectées ou sur des réserves indiennes, les investisseurs obtiennent des crédits d’impôt encore plus importants. L’expression « not in my backyard » [« pas dans mon jardin »], Nimby, pourrait devenir Pimby, « put in my backyard » !

Quatrièmement, les fonds nécessaires proviendront de méga-entreprises qui ont, en toute légalité, échappé en quasi-totalité à ce qui, dans tout système équitable, aurait été le paiement de leurs impôts. Trois exemples :

1. Depuis sa création en 1965, Medicare, le régime fédéral d’assurance des plus de 65 ans, n’a pas le droit de négocier les prix avec les entreprises pharmaceutiques qui, vous n’en serez pas surpris, se sont enrichies comme des bandits. La loi autorise désormais Medicare à faire jouer la concurrence, ce qui devrait rapporter 340 milliards de dollars au budget fédéral au cours des dix prochaines années.

2. Des entreprises affichant d’énormes bénéfices reversés à leurs actionnaires ont utilisé des échappatoires juridiques pour ne payer pratiquement aucun impôt. Un impôt minimal de 15 % sur les bénéfices des entreprises récoltera 200 milliards de dollars supplémentaires.*

Un lobby « pro-vert »

3. Les entreprises rachètent leurs propres actions en Bourse pour en augmenter le cours et créer l’illusion frauduleuse que les investisseurs se précipitent, provoquant souvent une ruée des épargnants. Une taxe de 1 % sur les rachats d’actions permettra de récolter 75 milliards de dollars supplémentaires.

Cinquièmement, alors que tous les systèmes de marché carbone ou de vérification des émissions de carbone créent tout un monde d’intermédiaires (consultants, agences de communication, courtiers, spéculateurs) qui absorbent une bonne partie des investissements, le système de crédits d’impôt permet d’affecter tous les investissements à la transformation verte.

Le véritable lobby « pro-vert » sera composé des pauvres, de la classe moyenne et des grands industriels. Face à eux, « Big Oil » [l’industrie pétrolière] pourrait bientôt paraître petit, s’il ne se transforme pas en « Big Green » [« géant vert »].

Les Etats-Unis suscitent l’attention mondiale, souvent de manière favorable ; ils ont un énorme pouvoir moral, qu’ils le méritent ou non. D’autres pays pourraient suivre la voie tracée par l’Inflation Reduction Act. (Traduit de l’anglais par Isabelle Plat)

Robert Bell est professeur de management au Brooklyn College de la City University de New York. Il est l’auteur de Les Péchés capitaux de la haute technologie. Superphénix, Eurotunnel, Ariane 5… (Seuil, 1998) et de La Bulle verte. La ruée vers l’or des énergies renouvelables (Scali, 2007).

WHY BIDEN’S RENEWABLE ENERGY LAW JUST MIGHT SAVE ALL OFUS FROM GLOBAL WARMING

Although there is increasing recognition of a climate crisis, the widely discussed solutions to deal with it—carbon taxes and cap and trade systems–simply have failed to catch on at any scale capable of addressing the issue.

The new green transformation law, named the Inflation Reduction Act, is the total opposite of the failed approaches. If copied, the world just might escape the worst of global warming! Here are the main reasons why it might be copied:

It passed! Carbon taxes, and cap and trade have not passed at the national level in the US. Let’s be clear; it just barely passed. In the Senate the vote, on August 7 2022, was 51 to 50. But the House of Representatives vote on August 12, was a foregone conclusion, and Joe Biden’s signing it into law four days later was easily his biggest victory so far; he delivered the largest investment in the green transformation in US history–$369 billion over ten years, long enough to make the energy transformation there irreversible. Princeton researchers estimate it would drive $3.5 Trillion in energy infrastructure investment by 2032. (source: https://repeatproject.org/docs/REPEAT_IRA_Prelminary_Report_2022-08-04.pdf )

The law simply implements what is the basis of most management practices—positive reinforcement. It largely rewards what we want, rather than punishing what we don’t want. This is the exact opposite of a carbon tax, which punishes what we don’t want, hoping investment money will trickle into what we do want.

The law launches a tsunami of money into green energy—it will leverage investments much bigger than the $369 billion. The law uses tax credits; dollar for dollar deductions from taxes after the otherwise final tax obligation has been calculated, and often coming to half the investment costs on a wide range of renewable energy investments. The private sector kicks in the rest. If the investor’s original tax bill is less than the tax credit, he can sell all or part of it to someone who can use it.

The law avoids the Gilet Jaune problem, targeting tax credits specifically for the poor–$4,000 for a used electric car provided it costs less than $25,000; half the investment costs for retrofitting geothermal heating and cooling for lower middle class and poor housing, etc. No tax credits for high-end Teslas.

Otherwise potential Gilets Jaunes will get jobs in the massive US electric car and battery industry the law will create–by providing an unlimited number of $7500 tax credits for new electric cars. The law neutralizes Chinese dumping; to get the $7500, the EVs must be: made in the US, with US components, cost less than $80,000, and use US mined minerals—or mined from countries with trade agreements, such as Australia and neighboring countries: Canada, Mexico, Chile, Peru….

The new green electric power industry will be hiring. The tax credits for the power they produce from wind farms, solar parks, energy storage installations, etc. will last for the next ten years—long enough to amortize many investments. The credit, if the company pays fair wages and has an apprenticeship program, starts out at $26 a megawatt hour of energy produced. According to the investment bank Lazard, the cheapest new wind farms also produce electricity at a cost of $26 per megawatt hour. So sales of electricity yield pure profit! By putting their wind turbines or solar farms on abandoned coal mines or in abandoned factory areas, or on Indian reservations, investors get even bigger tax credits. “Not In My Backyard,” NIMBY, may become PIMBY, Put In My Back Yard.

The money for it will come from huge companies that had been legally ducking nearly all of what in any fair system would have been their taxes.

Three examples: 1) $340 billion may come out of US drug companies over the next ten years; since its inception in 1965, Medicare, the federal insurance scheme for those over 65, has been prohibited from negotiating prices with the drug companies, which have, you won’t be surprised, made out like bandits. 2) Massive companies, showing vast profits to shareholders, have used legal dodges to pay essentially zero taxes. A 15% minimum tax on these companies will pull in another $200 billion. 3) Companies buy back their own shares on the stock market, raising the price and giving the fraudulent illusion that investors are rushing into their stock, often triggering just that. A 1% tax on buy-backs will raise another $75 billion.

Since the law relies on tax credits, very little of the benefit money ever goes through the US treasury or any government bureaucracy. So very little is eaten by the government. Biden’s system thus has a massive advantage over all the “cap and trade” systems, or carbon verifications systems, where financial markets or middlemen eat a material part of the investment money that should go directly into the green transformation.

These tax credits will create a massive Pro-Green lobby of the poor, the middle class and the big industrialists. Against them, Big Oil may soon look quite small, if it doesn’t transform itself into Big Wind.

Other countries may follow; the US does have enormous moral power, whether it should have it or not. People pay attention, many of them favorably, to what the US does.

Robert Bell est l’auteur de « Les Péchés capitaux de la haute technologie. Superphénix, Eurotunnel, Ariane 5… » (Seuil, 1998) et « La Bulle verte. La ruée vers l’or des énergies renouvelables » (Scali, 2007)

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