January 1, 2023

Climat : « Des subventions communes entre “alliés et amis” pour lutter contre le réchauffement sont peut-être la meilleure chose que l’on puisse faire »

Le professeur Robert Bell rejette, dans une tribune au « Monde », les critiques européennes contre les subventions américaines à la transition énergétique, suggérant de suivre plutôt le même chemin.

Devant un parterre d’élus américains lors de sa visite officielle aux Etats-Unis, le président Emmanuel Macron a qualifié mercredi 30 novembre la loi américaine Inflation Reduction Act (IRA) de plan « super agressif », car susceptible de provoquer une fuite des industries européennes vers les Etats-Unis. « Les choix qui sont faits sont des choix qui vont fragmenter l’Occident », a aussi lancé le chef de l’Etat, s’adressant le même jour aux ressortissants français réunis à l’ambassade.

La Commission européenne a averti de son côté que l’IRA, signée le 16 août par le président Biden et qui entrera en vigueur le 1er janvier 2023, pourrait « déclencher une course néfaste aux subventions mondiales » dans le secteur des technologies clés pour la transition verte (Financial Times, 6 novembre 2022). Bruxelles s’inquiète de voir s’enclencher une compétition fiscale entre les pays. Alors que la loi de Biden utilise une forme de réduction d’impôts spécifique, la Commission européenne critique de manière plus générale toutes subventions (fiscales ou autres) de soutien à la transition écologique.

Comme le note le même article du Financial Times, le Canada a déjà mis en place des crédits d’impôt pour empêcher les entreprises « vertes » de partir vers le sud, aux Etats-Unis. L’IRA utilise en effet des crédits d’impôt destinés à provoquer des investissements spectaculaires aux Etats-Unis dans les différentes énergies renouvelables et les véhicules électriques. Le crédit d’impôt peut ainsi couvrir le coût total du développement d’un parc éolien, ce qui en fait un investissement extraordinairement attractif – gratuit en fin de compte.

Mais cette compétition est-elle néfaste ? Pas nécessairement.

L’éolien terrestre

Selon la représentante américaine au commerce, Katherine Tai,« notre vision est celle d’une politique industrielle ne se limitant pas à nous, mais qui est complétée par le travail de nos alliés et amis… » (Financial Times, 2 novembre 2022). Et face aux Etats-Unis, l’Union européenne (UE) ne souffrira pas d’un désavantage concurrentiel dans le domaine de l’énergie… si elle favorise son industrie de l’éolien terrestre, qui domine déjà le marché mondial. En termes de production électrique, l’éolien terrestre est matériellement moins cher que le gaz naturel américain, même aux Etats-Unis !

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Des subventions communes entre « alliés et amis » pour lutter contre le réchauffement climatique sont peut-être la meilleure chose que l’on puisse faire, lorsque les stratégies traditionnelles (engagements internationaux, sobriété énergétique, taxes carbone, marché d’échanges de quotas…) ont purement et simplement échoué, ou n’ont pas été suffisamment mises en œuvre.

Il ne reste donc que les subventions à l’investissement et les niches fiscales. Le président Macron a appelé lui-même à une riposte européenne contre l’IRA : « L’Europe ne peut pas être le seul endroit au monde à ne pas avoir un “Buy European Act” et à avoir un système d’aides d’Etat qui fixe des règles comme s’il n’y avait pas de concurrence extérieure », selon les propos rapportés par le Financial Times du 19 novembre.

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D’autres flux d’investissements massifs fondés sur les niches fiscales ne nous ont-ils pas donné tout aussi bien le gaz de schiste que l’Internet et les téléphones portables ?

Le ratio espoir/déluge

Nous avons moins de huit ans pour limiter l’augmentation de la température à 1,5 °C. Les Etats-Unis ont fait du crédit d’impôt la pierre angulaire de leur politique pour sauver le climat. La prochaine COP28 devrait autoriser des niches fiscales nationales, pour obtenir le flot d’argent frais nécessaire. Et un traité des Nations unies allant dans le même sens devrait supplanter tous les autres traités fiscaux existants !

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Si nous voulons sauver la planète, l’investissement total dans les énergies renouvelables doit dépasser l’investissement total dans les combustibles fossiles – c’est le « ratio espoir/déluge » (hope/doom ratio, en anglais). Selon Bloomberg New Energy Finance (6 octobre), « la comparaison entre les investissements dans les approvisionnements énergétiques à faible teneur en carbone et les combustibles fossiles » offre une nouvelle vision de la manière dont les entreprises, les organisations étatiques et non étatiques et les institutions financières peuvent aligner leur activité de financement sur les scénarios climatiques.

Face à l’urgence de la crise du réchauffement climatique, l’approche des niches fiscales américaines est au centre de la discussion. L’Europe doit y jouer sa propre partie. (Traduit de l’anglais par Isabelle Plat)

Robert Bell est professeur de management au Brooklyn College (City University de New-York) et auteur de « Les Péchés capitaux de la haute technologie. Superphénix, Eurotunnel, Ariane 5… » (Seuil, 1998) et de « La Bulle verte. La ruée vers l’or des énergies renouvelables » (Scali, 2007).

Robert Bell(Brooklyn College, City University de New-York)

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